Enseignements d'un chavirage

Le 02/03/2020

Dans Naviguer

Texte Y.GG photo VAP

Le dimanche 24 juin 2012 nous étions 3 à bord de Blues, canot à voile au tiers (la photo ci-dessous n'a pas été prise ce jour là, mais notez déja l'importance du vrillage de la voile au portant, on en reparlera).

Nous étions sortis de l'Anse de l'Aiguillon avec le jusant pour nous rendre à La Rochelle.Le vent de S-O de force 4 nous obligeait à louvoyer. Ce vent et la mer qu’il levait étaient maniables pour mon canot ; nous gagnions au vent normalement. Après quelque temps, sentant que le vent et la mer forcissaient, j'ai craint l'apparition de déferlantes avant d'être arrivé à l'abri de l'Ile de Ré, et j'ai décidé de rentrer nous mettre à l'abri dans l'Anse de l'Aiguillon.

J2s blues entre ds le lay

Cette route retour nous mettait vent arrière, allure risquée (roulis et risque d’empannage). J’ai donc voulu tirer des bords de grand largue. Mais il fallait aussi éviter de virer vent arrière. J’avais donc décidé de faire mes virements vent devant.

C’est pendant ce retour vers la baie que j'ai chaviré, en sortie d'un virement vent-devant destiné à me faire passer à grand largue bâbord-amure. L’originalité (si je puis dire) de ce chavirage est qu’il s’est produit au vent, vers bâbord donc. J’ai mis longtemps à en trouver l’explication.

Mes 2 équipiers avaient souvent navigué avec moi et souvent tenu la barre de mon canot en diverses occasions. Au moment de l'accident et pendant le virement de bord qui précédait c’est moi qui tenais la barre.

Le virement vent devant s'était très bien passé. Arrivé bâbord-amure en sortie de virement le canot s'est mis à gîter à tribord, comme il est normal à cette allure, et l'équipage s'est spontanément porté à bâbord, constituant une contre-gite appropriée.

J'ai alors largué l'écoute en grand, en poursuivant la rotation vers tribord pour passer au grand largue, toujours bâbord amure. Nous avions alors peu de vitesse. C'est lorsque j'ai remis de la tension dans l'écoute que j'ai senti le canot se pencher rapidement vers bâbord, au vent, jusqu'à embarquer beaucoup d'eau puis chavirer.

Ce qui s’est passé ensuite a confirmé les enseignements « habituels » de tout chavirage : il faut avoir tout attaché à bord, naviguer brassières capelées, disposer de moyens atteignables de se signaler, etc. Je ne vais pas m’y attarder : les manuels de navigation sont pleins de ces recommandations… (que j’avais en partie négligées !)

Mais j’en tire 3 autres enseignements plus rarement énoncés.

Le premier est relatif à l’étrangeté de ce chavirage au vent, qu’il faut pouvoir expliquer pour savoir éviter ensuite ce qui l’a provoqué.

Certes, il y avait la position bâbord de l'équipage, qui n'avait pas encore vraiment réagi au changement d'équilibre qui se produit quand on passe de vent de travers à grand largue. Cela a favorisé l'accident mais n'aurait normalement pas suffi. Peut-être y a-t-il eu aussi une vague oblique par rapport aux autres. Mais tout cela n'explique pas pour moi la rapidité du mouvement de chavirage ; il y avait donc eu autre chose et j'ai mis longtemps à comprendre.

J’ai trouvé une seule explication à ce chavirage « original » brutal : le vent a poussé le haut de la voile vers bâbord, ce haut de voile étant passé probablement en avant du mat (voir schéma). C’est un phénomène que j'avais déjà constaté en d'autres occasions, mais pas aussi fort. Ce 24 juin, il est probable que j'ai fait l'erreur de trop larguer l'écoute au cours de cette abattée volontaire, puis de la retenir brutalement, ce qui a accentué le vrillage de la voile, et le passage du haut de voile en avant du travers du canot. C’est ce qui à dû provoquer une force inhabituellement forte vers bâbord en haut de gréement. (flèche en haut du schéma ci-dessous)

Forces chavirage

Donc, au grand largue avec une voile au tiers, il est prudent d’éviter que le haut de voile dépasse trop le travers et pousse au vent.

Une fois dans l'eau, nous essayions de redresser le canot en nous agrippant aux quilles d’échouage, car la dérive était rentrée dans son puits, nous privant de son bras de levier.

Notre prise semblait insuffisante puisque nous n’arrivions pas à redresser. Équiper son canot de meilleures prises semble de bon sens. Mais il y avait autre chose qui nous empêchait de redresser le canot, ce que nous n’avons remarqué et compris qu’après notre sauvetage : c’est que le mouillage avait dégringolé au chavirage et avait croché le fond, l'autre extrémité du bout étant attachée au pied du mat. C’est la tension de la ligne de mouillage qui s’opposait à nos efforts de redressement. L’équipage du gonflable rigide qui est venu redresser et remorquer le canot a donc dû couper cette ligne de mouillage.

Mon second enseignement est donc que la ligne de mouillage ne doit pas pouvoir se dérouler sans action volontaire. Pour ce faire, sa glène est donc désormais bloquée par un petit bout (largable facilement, pour les cas où il faut mouiller d’urgence)

Mon 3ème enseignement relève de la psychologie.

L’un de mes équipiers devait prendre un train tôt le lendemain 25 juin à La Rochelle. Je m’étais donc mis une pression mentale pour atteindre ce port ce jour là, le 24.

Je ne crois pas que j’en ai été perturbé au point de ne pas être lucide sur l’état de la mer et du vent. En revanche, je pense que le fait d’avoir dû y renoncer me préoccupait au point d’affaiblir ma concentration, et mon attention aux forces qui s’exerçaient.

J’avais déjà remarqué que l’acuité de mes perceptions et la précision de mes actions sont amoindries par des préoccupations comme les contraintes de temps ou les équipiers bavards. Il y a celles qu’on ne peut pas éviter (comme les contraintes de marées). Alors autant ne pas s’en ajouter.

Telle est ma 3ème conclusion : Pour être totalement « dans » ce qu’on fait, il faut éviter de se donner des soucis (de rendez-vous par exemple) quand on navigue ! Et pour ne pas être perturbés par l’obligation de passer aux plans B, il faut avoir prévenu « les autres », et intégré en soi, que le rendez-vous (s’il y en a un) est pris « sous réserve ».

Puisque je suis toujours là pour le raconter, et puisque mes équipiers apprécient encore de naviguer avec moi malgré le temps que nous avons passé dans l’eau, je suppose que j’ai bien géré ce qui relevait de moi depuis le chavirage jusqu’à l’opération de sauvetage qui s’en est suivie. Je ne vais pas redire ici la profonde reconnaissance que j’ai exprimée à tous ceux qui y ont participé. Qu’ils sachent simplement que je n’oublie pas.